Située au milieu de l’Océan Indien, Diego Garcia est l’île principale de l’archipel Chagos. Elle abrite aujourd’hui la plus grande base militaire américaine en dehors du territoire des Etats-Unis. Derrière cette gigantesque infrastructure se cache une douloureuse histoire d’exil forcé que la communauté chagossienne s’efforce de faire reconnaître depuis près de 40 ans.
Cette histoire débute avec l’arrivée de colons européens et d’esclaves africains arrachés à leurs communautés d’origine pour extraire la coprah des champs de cocotiers. Au fur et à mesure des générations, les esclaves affranchis et leurs descendants s’approprient ce nouvel espace. Leur environnement leur fournit de nombreuses ressources et une culture créole émerge.
Le répit est de courte durée, à partir des années 1960 la violence coloniale et l’expérience de la déportation font à nouveau irruption dans la vie des habitants de l’archipel Chagos. Des négociations secrètes entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni aboutissent à la mise en place d’un bail américain sur l’archipel pour y construire une base militaire. Les Chagossiens deviennent les victimes collatérales de la guerre d’influence qui traverse la région : l’armée américaine réclame l’évacuation de l’archipel. En toute opacité, les quelques 2 000 habitants sont progressivement expulsés par les autorités britanniques : ceux qui s’absentent de l’archipel apprennent ensuite qu’ils ne peuvent plus y retourner, les provisions arrivant aux Chagos se raréfient et les actes d’intimidation se multiplient. Ces stratagèmes se poursuivent jusqu’en 1973. L’armée britannique déloge par la force les derniers habitants obligés de s’entasser sur un navire avec le strict minimum. Une partie des Chagossiens est envoyée aux Seychelles mais la majorité est dirigée vers l’île Maurice. Pour justifier cette déportation, les Britanniques les présentent comme de simples travailleurs détachés. A leur arrivée, ils ne disposent donc d’aucune compensation financière, ni prise en charge. Les pertes humaines sont lourdes, le traumatisme profond et près d’un demi-siècle plus tard, la plupart d’entre eux vivent encore dans l’extrême pauvreté.
Aujourd’hui, diverses associations chagossiennes luttent pour la réparation des préjudices subis, la sauvegarde de leur culture et le droit de retour. Leur mobilisation a notamment permis l’octroi de la nationalité britannique en 2000. Beaucoup en ont alors profité pour migrer vers Crawley, en périphérie de Londres, dans l’espoir d’une vie plus douce. Les regards sont désormais tournés vers la Cour de Justice Internationale chargée, par l’île Maurice, de se prononcer sur la légalité de la souveraineté britannique sur l’archipel. Alors que le nombre de natifs des Chagos toujours en vie ne cesse de se réduire, l’attente se prolonge pour la communauté chagossienne. Ces quelques 10 000 personnes vivent encore marginalisées, partagées entre l’espoir d’un retour et la nécessité de survivre en exil.
Texte par Lucas Longitag (Anthropologue)