« Je t’amène si tu veux, je vais te montrer la misère. » Guerrier a peut-être su avant moi ce qu’au fond je tentais de comprendre.Cela faisait 15 jours que j’avais pris l’habitude de venir tous les matins dans l’un des deux seuls lieux d’accueil de jour pour les personnes en difficulté à St Pierre de la Réunion, dans la « Boutique de Solidarité de St Pierre ». Sans savoir pour autant pourquoi cet endroit m’attirait vraiment. Je n’avais alors pas d’autre but que de rencontrer, d’écouter les gens qui venaient prendre un café, de m’imprégner de leurs histoires.
Jusqu’au jour où je me suis laissé embarquer par Guerrier, comme on se laisse emmener par un guide.C’est lui qui m’a fait rencontrer les personnes qui peuplent ces photographies, toutes ces vies invisibles devant lesquelles on passe en marchant vite, comme effrayés par des spectres.J’ai rencontré la vie de Guerrier et de toutes ces personnes comme on rencontre l’inconnu.
En deux ans, je les ai vu changer – en bien parfois, mais souvent pour le pire. Les esprits et les corps ont souffert, ils se sont un peu détruits.
Cette série est le fruit de ces rencontres et la chronique impuissante de ces dégradations. C’est une porte entrouverte sur la rue, sur une réalité que nous croisons tous les jours, dont tout le monde se détourne, mais sur laquelle tout le monde a déjà prononcé son jugement. Personne ne veut savoir, personne ne veut comprendre et regarder ces vies laissées pour compte. Elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à hanter les ruines, les friches et les zones d’ombre, à mesure que les inégalités explosent.